"Leclean girlestout, le"mob wife"estin" a annoncé solennellement Kayla Tivieri (@ktrivz), une amatrice de mode suivie par plus de 234 400 personnes sur Tik Tok.
Clamant la mise en retrait des doudounes noires au profit des manteaux de fourrure clinquants et du "glamour hardi", la vidéo de l'américaine publiée le 7 janvier dernier dépasse le million de vues.
Une créatrice de mode en herbe étudiant à la Parsons School de New York met elle aussi ses followers au parfum dans une vidéo "likée" plus de 95 000 fois, de quoi laisser entendre l'approbation du même nombre de personnes.
L'effet boule de neige est immédiat. Les membres du"Fashion Tok"y vont chacun de leur vidéo hashtagée #mobwifeaesthetic et assurent qu'en 2024, ce nouveau style vestimentaire va bouleverser la mode féminine.
Et d'une certaine manière c'est déjà le cas puisqu'elle fait couler beaucoup d'encre.
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C'est quoi l'esthétique "mob wife" ?
La tendance mode phare de l'année serait donc là, prête à être cueillie par celleux qui se disent au fait de toutes les dernières tendances.
Ce style qui en français se traduit littéralement par "esthétique de femmes de mafieux" se calque sur l'apparence des femmes de gangsters représentées sur grand comme sur petit écran.
Il comprend un rouge à lèvres carmin façon femme fatale, des pantalons en cuir véritable, les bijoux endiamantsfaçon Connie Corleone dans Le Parrain, et deslongs manteaux de fourrure à la Elvira Hanco*ck (Scarface).
@ktrivz manifesting a 24 carat diamond tennis necklace to match my mob wife energy #greenscreen ? original sound - kayla trivieri
Et si ce look connaît un intérêt soudain auprès d'une majorité d'anglo-saxonnes étrangères à cette culture, c'est parce que les séries et les films de ce genre se multiplient ces dernières années et les plus cultes refont surface sur les plateforme de streaming.
Vidéo du jour
On peut citer la série-phénomène Narcos(2015) qui revient sur l'ascension et la chute de Pablo Escobar, les films Maffia Inc. de Daniel Grou et Capone de Josh Trank sortis en 2020.
Encore plus récemment une mini-série Netflix sortie le 25 janvier 2024 raconte cette fois la trajectoire d'une trafiquante de drogue, la colombienne Griselda Blanco.
On peut tout autant accuser le 25e anniversaire des Sopranos, la meilleure série de tous les temps selon un classem*nt publié par Rolling Stone en 2022.
L'histoire de son personnage centralTony Soprano résonne avec l'actuelle démystification des questions de santé mentale et surtout, le look des personnages de son universfont plus que jamais sensation.
On le voit sur le réseau social de partage d'images Pinterest et sur les comptes Instagram et Twitter dédiés à la série, à l'instar du compte @sopranosstyle qui recense toutes les tenues aperçues dans l'histoire en six saisons.
Les imposants bijouxd'Adriana La Cerva, lafrench manucureet les tailleurs-pantalons sur-mesure de Carmela Soprano autant que les vêtements à motif animalier chéris par Rosalie Aprile y sont pour beaucoup dans le nouvel engouement autour du style des femmes de voyous qui obnubile en particulier les millenials et la génération Z.
Dans sa vidéo TikTok pour laquelle elle a été remerciée par de nombreux internautes, celle qui est à l'origine de l'explosion du hashtag #mobwifeaesthetic désigne l'épouse de Tony Soprano comme précurseur de ce style.
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Derrière la tendance, une forme d'appropriation culturelle
L'esthétique des femmes de gangsters inonde les conversations autour des prédictions de tendances mode pour 2024 mais celles qui en font la promotion n'avaient pas anticipé le tolléprovoqué en réaction à cette effervescence.
"Notre culture n'est pas votre costume" dit fermement @longislandlibra dans une vidéo postée deux jours après celle de Kayla Trivieri.
L'Italo-américaine originaire du Nord-est de New York entend faire comprendre que ce look est un pan de sa double culture et que cette nouvelle obsession n'est autre que de l'appropriation culturelle.
@longislandlibra pose alors des "questions qualificatives" à celles qui veulent s'accaparer le look adopté par beaucoup d'Italo-américaines : "Très sérieusem*nt, savez-vous qui est Big Ange ? [...] À qui adressez-vous quand vous perdez quelque chose ?"
Deux interrogations auxquelles toute personne ayant hérité de cette double culture saurait théoriquement répondre.
Partageant la même vision, @Taylorfitz va plus loin et énumère une liste de personnes qui ne devraient se permettre d'emprunter les codes de cette culture qui est aussi la sienne.
@taylorfitz_ #mobwifeaesthetic #greenscreen #italian #furjacket ? original sound - TaylorFitz_
La culture dont parlent ces tiktokeuses indignées est celle des Italo-américains originaires de New York et du New Jersey où l'on retrouve une grande population d'ascendance italienne depuis les grands mouvements migratoires de la fin du XIXe siècle.
Et il faut dire que depuis leur arrivée en nombre sur le territoire américain, les différentes générations d'Italo-américains ont souffert de xénophobie.
Ajoutez à cela le fait que les Italiens sont représentés au cinéma presque uniquement à travers le prisme de la mafia, créant une image stigmatisante à leur égard qui a la dent dure.
Toutes ces contestations traduisent plus largement une frustration de voir qu'aujourd'hui des femmes blanches -venant entre autres de quartiers huppés de Californie ou de Floride- pensent pouvoir rendre cool cette esthétique qui a toujours été considérée vulgaire lorsque portée par des personnes issues de l'immigration. Qu'elles soient Noires, hispaniques, asiatiques, nord-africaine, ou encore originaires de l'Est de l'Europe.
On doit dire que la prise de parole des tiktokeuses qui sont émotionnellement attachées à ce qu'on appelle aujourd'hui le style "mob wife" est légitime. Elle est soutenue par des internautes et même des médias qui dénoncent à leur tour une appropriation culturelle mais face à cela, on doit dire que les personnes racisé.e.s rient jaune.
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Une tendance qui expose d'autres discriminations
"Sans vouloir offenser les Italiennes mais c'est hilarant pour moi que ce soit cela qui vous ai fait réaliser ce qu'est l'appropriation culturelle." observe justement une internaute connue sous le nom de Shompa.
On se souvient en 2004 du clip du morceauLuxuriousdans lequel Gwen Stefani copie trait pour trait l'esthétique descholasqui ont elles aussi ont une identité vestimentaire singulière.
Malgré son sourcil tracé et sur-épilé, son crayon à lèvres tracés et un t-shirt à motif Virgen de Guadalupe, la notion d'appropriation culturelle n'est à aucun moment reconnue par la chanteuse ou des médias à l'époque.
Dans la mode, les exemples comme ceux-là, il en existent plein. Comme cette fois en 2016 où Marc Jacobs a coiffé ses mannequins de dreadlocks(coiffure encore aujourd'hui jugée "non-professionnelle" dans certaines sphères lorsque portée par des personnes racisé.e.s) et s'est indigné lorsqu'il a été pointé du doigt pour appropriation culturelle par des militants et des amateurs de mode, regrettant une atteinte à la liberté d'expression.
Le créateur s'était d'ailleurs excusé publiquement en réponse à la polémique qu'il avait déclenché.
Le coup de projecteur sur la mob wife aesthetic expose aussi un problème autre que l'appropriation culturelle.
Quand elles illustrent cette tendance dans leurs vidéos, les tiktokeuses ne montrent exclusivement que des femmes blanches or ils existent bien des femmes de gangsters racisées au look clinquant et glamour.
Comment expliquer qu'une Jemeker Thompson dont on dispose de clichés la montrant parée de luxueux visons ne soit jamais mise en avant ? Elle qui fut trafiquante de drogues, petite amie du gangster Daff Mosley, et a inspiré le personnage de Louie dans la sérieSnowfall.
Il est flagrant que les femmes noires ne sont pas considérées par celleux qui veulent voir exploser cette tendance quand on sait que les codes du look "mob wife"ont toujours été présents dans leur dressing dès lesannées 70.
Cela a d'autant plus été le cas dans les années 80 à 90 lorsqu'extravagance et bling-bling sont devenus des standards pour elles et leur communauté,notamment aux États-Unis où au même moment le mouvement hip-hop a explosé et a étendu son influence sur leur façon de s'habiller.
L'esthétique "mob wife" rappelle en ce début d'année que les amateurs de mode ont encore de l'apprentissage à faire. Dans le cas présent il est question d'assimiler le fait que les cultures ne sont pas des tendances et de reconnaître la charge émotionnelle et culturelle que renferme les vêtements.
